La méditation renferme bien des définitions possibles qui, si elles sont toutes complémentaires, peuvent paraître éloignées les unes des autres et semer le trouble dans l’esprit de celui ou celle qui cherche à en comprendre le sens. Si nous prenons la définition du Larousse, par exemple, nous découvrons que la méditation est « l’action de réfléchir, de penser profondément à un sujet, à la réalisation de quelque chose ». Cette définition est tout à fait fondée, car on utilise bien souvent l’expression « méditer sur un problème » dans le langage courant lorsqu’on entre dans une réflexion dans le but de trouver des solutions.

Cette définition générale de la méditation en tant que processus rationnel et analytique semble toutefois entrer en contradiction avec celle de la méditation en tant que pratique spirituelle, religieuse ou de santé puisque celle-ci se caractérise au contraire par la transcendance de la pensée, donc l’absence de réflexion analytique propre au mental. Nous dirions que ces deux définitions ne se contredisent pas, dans la mesure où le processus de réflexion dont il est question s’inscrit à des niveaux différents.

 

La réflexion de la lumière de l’esprit

Pour comprendre cette distinction, considérons préalablement la réflexion comme phénomène optique ou physique qui intervient lorsqu’une source de lumière est projetée sur un objet et que celui-ci la renvoie. C’est le cas, par exemple, de la lumière qui se réfléchit sur un plan d’eau ou dans un miroir. Il s’agit là d’une métaphore[1] que l’on peut utiliser pour expliquer la méditation en tant que processus de réflexion de l’esprit. L’esprit, ou la conscience, équivaut à la source de la lumière qui va se projeter sur un objet. Cet objet va faire office de plan de réflexion sur lequel la lumière de l’esprit va pouvoir se refléter et lui permettre ainsi, par le fait même de cette réflexion, d’éclairer cet objet et donc de le percevoir, ou autrement dit d’en avoir conscience. L’objet dont il est question est en fait constitué par un ensemble de vibrations qui peut revêtir toutes sortes de formes. Cela peut être un son, une odeur, une image mentale, une émotion, une pensée, le goût d’un aliment, la sensation produite par le contact physique avec une chose que l’on touche, etc.

Si nous avons conscience qu’un de ces objets existe dans notre réalité, c’est grâce à ce phénomène de réflexion de la lumière de l’esprit sur cet objet. Sans la lumière de l’esprit, nous ne pourrions avoir conscience de quoi que ce soit. Si, par exemple, nous pouvons décréter que nous sommes tristes, c’est bien parce que nous ressentons des émotions dans notre corps. La lumière de l’esprit perçoit ces sensations corporelles (émotion) et les identifie mentalement à de la tristesse (sentiment).

Il est alors possible de produire cette réflexion de la lumière de l’esprit, de deux manières différentes : soit nous réfléchissons mentalement à cette tristesse, à ses causes et à ses conséquences, auquel cas la lumière de l’esprit est projetée non plus sur les sensations corporelles mais sur des pensées, soit cette même lumière est directement concentrée sur ces sensations corporelles, sans l’interférence de la pensée. Dans le premier cas de figure, nous méditons mentalement sur les raisons de notre tristesse, alors que dans le second cas de figure, nous ressentons simplement la tristesse en tant qu’ensemble de sensations dans le corps, en l’absence de tout processus mental analytique. Nous retrouvons là les deux définitions données au début de cet article.

Continuons avec notre exemple de la tristesse. Lorsque nous éprouvons un tel sentiment, le premier réflexe est de réfléchir mentalement à ce qui nous arrive. Nous pouvons nous victimiser, accuser le responsable, culpabiliser, chercher des moyens de sortir de cet état en l’anesthésiant ou en le compensant. Dans le jargon propre au développement personnel, on dit alors que nous sommes « identifiés » mentalement à des schémas de pensée, en réaction à cette tristesse.

Le propre du mental est d’analyser. Au sens étymologique du terme, l’analyse (du grec ancien analysis) est l’action de délier, donc de séparer ce qui était attaché, uni, lié. Cette caractéristique du mental donne naissance aux notions de raison et de morale : le vrai et le faux, la justice et l’injustice, la force et la faiblesse, le bien et le mal et toutes les autres déclinaisons que cela peut prendre dans notre esprit sous l’influence des impulsions magnétiques d’attraction et de répulsion : j’attire ce que j’aime, et je repousse ce que je n’aime pas. Nous sommes ici dans le domaine de la dualité. C’est le mode de fonctionnement binaire propre au mental qui compare les choses entre elles pour pouvoir les définir et se positionner par rapport à elles.

Pour reprendre notre exemple, lorsque nous méditons mentalement sur la tristesse, nous sommes dans cette dualité. Il y a cet état désagréable auquel nous aimerions pouvoir échapper, et nous utilisons le mental pour y parvenir. Nous analysons, nous ruminons, nous ressassons, etc. Cette tristesse étant désagréable parce que nous nous empêchons de l’éprouver vraiment, nous convoitons un état dans lequel nous pourrions en être débarrassés et auquel nous nous attacherons une fois atteint pour éviter d’avoir à revivre la souffrance engendrée par la tristesse. Nous comparons la tristesse avec ce qu’elle nous empêche de vivre. Autrement dit, nous refusons la tristesse et recherchons l’état qui nous en rendrait libre.

D’une manière plus générale, nous rejetons toutes les formes de souffrances psychologiques et nous désirons le bonheur, la paix, la reconnaissance, la valorisation, l’amour, et tous les états positifs qui nous éloignent de la souffrance. Il s’agit là du fonctionnement « standard » de l’ego régi par les impulsions d’attraction et de répulsion.

 

Les impulsions d’attraction et de répulsion

Toute forme de vie dans la nature, sans exception, est animée par l’énergie vitale, constituée elle-même de deux forces opposées mais complémentaires. La tradition chinoise les appelle yin et yang. Ce sont les contraires comme le jour et la nuit, le masculin et le féminin, le positif et le négatif[2], le chaud et le froid, le feu et l’eau, le ciel et la terre, le soleil et la lune, mais aussi, sur le plan physique, le plein et le vide, la force centripète et la force centrifuge, la concentration et la dispersion, l’inspiration et l’expiration, la contraction et le relâchement, la systole et la diastole (du cœur), etc. L’alternance équilibrée[3] ou, dans certains cas, la simultanéité de ces forces complémentaires, est corrélative de l’harmonie, de la cohésion, de la conservation et de la perpétuation de la vie.

Ces forces opposées s’attirent mutuellement : une chose de nature yin attire une chose de nature yang, et inversement. Par contre, deux choses de même polarité se repoussent mutuellement : yin repousse yin, et yang repousse yang. Ce phénomène se manifeste clairement avec deux aimants. Lorsque deux pôles de même signe sont opposés l’un à l’autre, il y a répulsion, tandis que lorsque deux pôles de signes contraires se font face, ils s’attirent. D’une façon un peu simpliste mais néanmoins fondée d’un certain point de vue symbolique, il y a une analogie entre l’aimant et la polarisation du psychisme humain. La complémentarité crée l’attraction, l’amour, et l’opposition crée la répulsion, la haine. La complémentarité engendre la cohésion, l’ordre, l’unité et l’harmonie, alors qu’à l’inverse, l’opposition déstructure, divise, et mène à la disharmonie et au chaos. Les polarités yin et yang ainsi que les impulsions magnétiques d’attraction et de répulsion qu’elles provoquent, sont influentes sur tous les plans de l’être : physique (corps), psychique (âme) et spirituel (esprit).

Lorsque la lumière de notre esprit est identifiée au mental, elle est forcément sous l’influence de ces impulsions d’attraction et de répulsion. Nous vivons alors en mode « conditionnel » : « je suis bien à condition que... », « j’aime à condition que »...! Nous rejetons la souffrance et cherchons tout ce qui peut nous apporter du plaisir et de la satisfaction.

Si ceci est tout à fait naturel à partir de ces impulsions, il faut bien comprendre que cette identification de l’esprit nous maintient dans la souffrance. En effet, puisque tout est impermanent dans le domaine de la manifestation, les choses auxquelles nous sommes attachés parce qu’elles nous permettent d’échapper à la souffrance, finiront par disparaître et cela ravivera cette souffrance. En somme, que nous soyons attachés aux choses qui nous procurent des sentiments positifs, ou que nous soyons en réaction face à celles qui nous déplaisent, nous souffrons. Dans un cas la souffrance est sous-jacente, latente, et dans l’autre elle est directement éprouvée.

Méditer sur un problème implique de reconnaître cette nature problématique, et cela n’est possible qu’avec l’entremise du mental et sa capacité analytique. A partir de là, nous cherchons des solutions pour échapper au problème, et cela peut s’avérer tout à fait justifié. En effet, la reconnaissance d’un problème, d’un danger, d’un déséquilibre ou d’une disharmonie est complètement légitime dans la mesure où cette prise de conscience va nous donner l’impulsion d’agir pour rétablir l’équilibre et l’harmonie.

Si nous n’avions pas conscience de nos blocages, de nos maladies, de nos problèmes, de notre souffrance psychologique, nous n’aurions aucune possibilité d’évoluer vers davantage de plénitude, de bonheur et de paix. Il ne s’agit donc pas de remettre en question l’utilité des impulsions d’attraction et de répulsion, mais de pouvoir s’en servir à bon escient, et c’est ici que les choses se compliquent.

Il faut bien se rendre à l’évidence que ces impulsions sont souvent utilisées de manière inadaptée et abusive par l’ego et contribuent par conséquent à alimenter inutilement la souffrance, tant la nôtre que celle des autres. En vérité, rien ne justifie la réaction déclenchée pour échapper à la souffrance psychologique, car cette réaction ne peut la faire disparaître définitivement ; tout au plus peut-elle la compenser temporairement, l’étouffer, l’anesthésier, la réprimer, etc.

Dès lors, comment faire pour agir et tendre vers davantage d’harmonie sans alimenter la souffrance en cours de route ? Prenons un exemple concret pour bien comprendre ce point essentiel qui nous amènera tout naturellement à aborder la question de la méditation en tant qu’art de vivre.

 

Action et réaction

Imaginons deux personnes qui se trouveraient confrontées exactement au même problème : l’inondation de leur lieu de vie, avec d’innombrables dégâts matériels ayant pour certains d’entre eux une valeur sentimentale inestimable. La première personne est un individu lambda, et la seconde est un maître de sagesse. Si la réalité extérieure est la même, la manière de la vivre intérieurement, par contre, est différente chez ces deux personnes.

Face au constat de cet événement et de la perte de ces objets auxquels il est très attaché, l’individu lambda est submergé par des sentiments lourds à vivre (tristesse, colère, culpabilité, désespoir, etc.) et va sentir l’impulsion de réagir à partir de ces états émotionnels, qui vont durer plusieurs heures, voire plusieurs jours. Cet individu va méditer mentalement sur le problème pour trouver des solutions, avec en arrière-plan toutes ces émotions qui le feront souffrir, au mieux jusqu’à ce qu’il puisse trouver une solution pour compenser cette perte et au pire jusqu’à ce que les émotions se soient atténuées avec le temps.

aucoeurduvivant meditation presence elan sarroLe maître de sagesse, quant à lui, va vivre cet événement différemment. Face au constat du problème, il éprouve naturellement des émotions qui peuvent être lourdes également, mais à la différence de l’individu lambda, cela ne va pas durer longtemps, car le maître de sagesse va préalablement renoncer à réfléchir aux solutions pour mieux méditer sur ces émotions, en leur accordant toute son attention. Pendant quelques minutes, il va s’autoriser à vivre ses émotions sans répression, pour leur permettre de s’écouler librement. Cela implique pour lui de ne pas penser à la situation extérieure, au risque d’alimenter sa souffrance et de ne pas pouvoir la vivre pleinement. Pour ce faire, il entre donc dans un état de méditation, dans lequel il accueille avec bienveillance ses émotions, telles qu’elles sont, sans volonté de les voir disparaître pour « aller mieux ». Cet abandon à la souffrance émotionnelle lui permet paradoxalement d’en être libéré, en quelques minutes. Après avoir pris le temps de plonger à l’intérieur de lui-même, au cœur du vivant, le maître de sagesse ressent un apaisement et peut alors agir depuis une base stable pour remédier aux problèmes. Accomplies depuis un état d’équilibre psychique et physique, ses actions n’en seront que plus harmonieuses et efficaces.

A contrario, l’individu lambda qui réagit sur la base de la volonté d’échapper à la souffrance, est conditionné par elle, et son état de déséquilibre a très peu de chances de se refléter extérieurement par des actions équilibrées. La souffrance conditionne donc les actes et les pensées de cet individu lambda, alors que chez le maître de sagesse, son action est le prolongement de son état de paix intérieure.

Le maître de sagesse n’est pas dépourvu de la capacité d’éprouver des émotions, mais il a conscience de l’impérieuse nécessité de ne pas réagir à partir d’elles, et en conséquence il s’établit dans le positionnement intérieur qui lui permet de les libérer avant de passer à l’action. Et si toutefois les émotions devaient encore remonter à la surface par la suite alors qu’il est entré dans l’action, il prendra à nouveau le temps de vivre le processus d’accueil, afin de se donner toutes les chances de conserver sa stabilité et sa lucidité.

Il est bien connu que l’émotion court-circuite le filtre de la raison et affaiblit par conséquent notre capacité analytique, notre discernement, notre esprit critique, notre conscience morale, etc. Nous réagissons alors sur la base de nos instincts les plus primitifs, tel un robot préprogrammé sous l’influence de conditionnements réflexes issus du passé. Parfois, nous sommes conscients que ces réactions conditionnées ne sont pas appropriées, mais emportés par nos émotions, nous n’arrivons pas à nous maîtriser ; cela semble « plus fort que nous », et nous avons l’impression d’être esclaves de nos conditionnements. Cette perte de liberté est à l’opposé de la maîtrise de soi-même conférée par l’accueil inconditionnel des émotions, qui nous rend libres d’agir à partir d’une plus grande clarté d’esprit, sous l’impulsion de ces mêmes émotions, mais transmutées, harmonisées.

Il faut bien comprendre ici que la réaction émotionnelle est fondée sur l’impératif de protection de l’intégrité physique et psychologique. Si elle est parfois adaptée pour échapper à un danger physique immédiat, de par la décharge hormonale[4] qui l’accompagne et qui nous fournit une quantité d’énergie utile pour lutter ou fuir (ou manifester sa joie), elle peut par contre devenir nuisible lorsqu’il est question de la défense de l’image de soi à laquelle nous nous identifions psychologiquement, d’autant plus lorsque cette même réaction émotionnelle est sans cesse alimentée par nos pensées focalisées sur le problème et que nous la maintenons bloquée dans notre corps, par contrôle, refus ou interdit, que cela soit conscient ou non.

Par conséquent, si nous voulons retrouver la faculté d’agir depuis une base stable et ainsi nous offrir toutes les chances d’affronter au mieux les épreuves de la vie et d’évoluer harmonieusement dans notre environnement, il convient d’apprendre l’art de vivre nos émotions dans le juste positionnement intérieur ; il convient d’apprendre l’art de vivre la méditation le plus souvent possible, en tant qu’état de conscience et non pas en tant que simple pratique ou technique à laquelle on s’adonne de temps à autre.

Entre la réaction sous la contrainte des impulsions d’attraction et de répulsion renforcées par les émotions, et l’action juste, intuitive, constructive qui prend racine dans l’équilibre intérieur, nous avons vite fait d’opter pour la seconde option et ce choix est tout à fait fondé pour toute personne aspirant à mener sa vie au contact de sa véritable nature, dans l’écoulement fluide et naturel de l’énergie vitale, puisque ce mouvement libre est la source de la paix, de la joie et de l’harmonie véritables.

Étant dotés du libre-arbitre, nous avons la possibilité de renoncer aux réactions impulsives irrationnelles lorsque nous sentons qu’elles empêchent l’expression libre de la sagesse qui existe en notre cœur. Pour cela, avant de réfléchir mentalement à un problème, il convient donc de revenir vers soi-même, dans l’abandon temporaire des préoccupations mentales, afin de se donner toutes les chances de nous occuper comme il se doit de l’énergie émotionnelle que ce problème a réactivée en nous.

Ce retour vers soi, par lequel nous renonçons à la tentation de réagir sur la base des réactions impulsives d’attraction et de répulsion, est l’essence même de la méditation en tant qu’art de vivre. Comme nous l’avons vu avec l’exemple du maître de sagesse, il s’agit en fait d’un simple regard dénué de jugement, posé sur les sensations qui reflètent dans notre corps les schémas de pensée auxquels nous sommes identifiés.

Si nous parvenons à ressentir ces sensations sans réagir, dans l’accueil inconditionnel de leur nature, elles vont pouvoir s’écouler et nous retrouverons rapidement l’état d’équilibre. Cela implique de ne pas penser à la cause qui a déclenché les émotions. Nous laissons temporairement de côté les préoccupations mentales pour nous plonger dans le ressenti de nos émotions. Nous leur permettons d’exister, sans répression. Nous les écoutons attentivement, et les invitons à vivre librement leur périple à l’intérieur du corps. Elles se déplacent, semblent changer de forme, d’intensité, puis s’atténuent, jusqu’à disparaître complètement. Nous remarquons alors qu’une fois libéré de nos émotions, notre esprit est plus calme, et mieux à même de réfléchir mentalement au problème.

 

L’analogie du parent et de l’enfant

aucoeurduvivant parent enfantPour bien comprendre cela, utilisons l’analogie avec la relation du parent et de son enfant. L’enfant symbolise notre état émotionnel. Le parent, c’est la conscience individuelle que nous sommes, le « je », l’« esprit » ou encore l’« ego ». Le parent fait office de « tuteur » dont le rôle est de permettre à l’enfant d’être élevé harmonieusement. Si l’enfant pleure ou fait une crise, il est clair que le parent aura de la peine à réfléchir et à se concentrer sur une situation problématique. L’enfant fait du bruit et attire l’attention sur lui pour signifier que quelque chose ne va pas (admettons que ce ne soit pas un simple caprice). Pour avoir la paix, le parent se met à réfléchir à des mesures à prendre pour faire taire l’enfant. Pendant ce temps, l’enfant continue de pleurer et de souffrir, et le parent s’énerve. Il est en réaction contre l’attitude de l’enfant. Alors, il détermine mentalement que la meilleure chose à faire est de réprimer l’enfant en le menaçant ou en l’enfermant dans sa chambre. En réaction, la souffrance de l’enfant dure encore pendant de longues minutes, et le parent se culpabilisera d’avoir agi ainsi. Dans une résolution harmonieuse de notre conflit émotionnel, le parent prend le temps d’accorder toute son attention à l’enfant, de le rassurer et de le consoler. Se sentant ainsi considéré, reconnu, accueilli et aimé, l’enfant se calme et retrouve son élan naturel à vivre sa vie avec émerveillement. Le parent peut alors à nouveau revenir à ses affaires, l’esprit paisible.

Cet exemple peut être transposé à notre propre gestion des émotions. La plupart du temps, nous restons dans notre mental et nous cherchons des solutions pour ne plus sentir nos émotions, pour nous en débarrasser, pour les anesthésier ou les compenser, et cette volonté de contrôle équivaut à un refus qui alimente notre souffrance émotionnelle. Par contre, lorsque nous prenons le temps de nous occuper d’elle, dans l’accueil inconditionnel de sa nature, cela « lâche » en nous, et nous ressentons un apaisement profond qui s’accompagne d’un sentiment agréable de confiance, de force et de joie, qui n’a strictement rien à voir avec le sentiment euphorisant que l’on éprouve après avoir pu atténuer la souffrance par des moyens extérieurs.

Cette paix et cette harmonie véritables, nous pouvons les vivre lorsque la conscience que nous sommes prend le temps d’accorder sa présence aimante à l’enfant intérieur, c’est-à-dire à nos états émotionnels, nos états d’âme.

Ce positionnement intérieur, s’il est naturel et spontané chez le tout-petit enfant, se perd progressivement avec la formation du mental, sous l’influence de l’éducation (plus ou moins répressive selon les cas) et la pression du milieu socioculturel. Toute personne qui souhaite « se retrouver » et ainsi rétablir l’unité à l’intérieur d’elle-même, se doit par conséquent de retrouver cette capacité qu’ont les tout-petits enfants à être pleinement présents à l’instant présent.

 

Les quatre clés de la présence à soi

Pour pouvoir vivre cette présence à l’instant présent et s’établir ainsi dans ce positionnement intérieur que les orientaux appellent l’ « invariable milieu », il convient de bien en comprendre les conditions, dont voici l’énumération :

1) Le ressenti

Les émotions sont des sensations qui surviennent dans le corps, et nulle part ailleurs. Si nous voulons vivre les émotions naturellement, comme le font les tout-petits enfants (et les animaux, aussi), il convient de plonger dans le corps et de les y ressentir avec une totale acuité, c’est-à-dire sans y penser, sans visualiser quoi que ce soit. Simplement ressentir... en pleine conscience.

Penser aux émotions, les juger, les nommer, réfléchir à leur cause, empêche de les vivre pleinement, et par conséquent, entrave leur écoulement, dont le corps a besoin pour se maintenir dans les conditions optimales d’équilibre (homéostasie).

Pour permettre cet écoulement harmonieux, il existe deux modes distincts de gestion des émotions. Premièrement, nous pouvons les évacuer par des gestes et des sons (crier, rire, courir, pleurer, gesticuler, frapper, etc.), mais si nous ne sommes pas vigilants, nous risquons de les projeter sur les autres et de leur faire du mal. Si nous avons un surmoi[5] particulièrement répressif, nous risquons de nous interdire cette extériorisation des émotions et de les maintenir bloquées dans notre corps, ce qui est terriblement destructeur pour soi-même. Ce double écueil peut être évité grâce au second mode de gestion des émotions. Sans avoir recours aux gestes ou aux sons, l’émotion peut être maîtrisée par le simple fait de la ressentir en pleine conscience et de la laisser s’écouler librement au travers du corps, sans volonté particulière et sans jugement. Dans ce second cas, l’émotion n’est pas évacuée, mais transmutée énergétiquement et recyclée chimiquement.

Grâce à notre système nerveux, nous sommes constamment en lien avec les émotions, et il suffit donc d’être attentif à ce qui se passe dans le corps pour en prendre conscience. L’effort à faire consiste simplement à renoncer à l’obsession de penser au problème, pour vivre le lâcher-prise en dirigeant notre attention sur la réaction émotionnelle que ce problème a déclenchée.

L’unité corps-âme-esprit et, par là, l’équilibre, le bien-être, l’harmonie et la santé, dépendent de notre faculté à ressentir aussi souvent que possible notre corps pour y accueillir les manifestations émotionnelles de l’âme qui reflètent notre état d’esprit.

2) L'esprit de bienveillance

Le simple fait de ressentir l’émotion de manière équanime, c’est-à-dire objectivement, sans jugement, permet de la libérer en quelques minutes. Toutefois, la pratique démontre qu’il est difficile de parvenir à l’équanimité de manière autonome, c’est-à-dire sans être accompagné par une tierce personne, surtout au début puisque ce n’est pas quelque chose à quoi nous sommes habitués. En effet, dès que nous ressentons l’émotion, des pensées font leur apparition, en lien avec l’événement qui a déclenché l’émotion, ou en lien direct avec cette émotion : « je ne peux pas laisser passer ce que ce sale type m’a fait ! », « quelle méchante femme ! », « vais-je m’en sortir ? », « cette souffrance va-t-elle enfin disparaître ? », « pourquoi cela n’arrive-t-il toujours qu’à moi ? », « j’en ai vraiment marre », « je ne veux plus vivre », « il me faut une cigarette, ça ira beaucoup mieux après », etc.

Dès que nous nous identifions à ces pensées, le processus de libération de l’émotion est interrompu. Sans en avoir conscience, nous refusons d’accueillir notre émotion, et cela équivaut à une répression, à un rejet, à un jugement négatif, à un manque d’amour de soi. Nous vivons un conflit à l’intérieur de notre psyché : il y a la réalité que nous refusons, et ce que nous aimerions pouvoir vivre pour satisfaire nos attentes, être en paix, heureux, complets, comblés. Or, souvenons-nous que pour vivre l’équilibre synonyme d’harmonie et de paix, nous devons permettre à l’émotion de s’écouler, ce qui implique de s’autoriser à la vivre pleinement à partir d’un esprit équilibré, équanime. L’équilibre dans le corps est le reflet de l’équilibre dans l’esprit, et c’est donc au niveau de l’esprit qu’il faut préalablement créer cet équilibre, par son épuration de toute identification mue par le refus de « ce qui est ».

Pour cela, sans risquer de réprimer l’émotion et d’interférer dans le processus de sa libération, nous pouvons canaliser le mental en émettant de bonnes pensées à l’attention de notre état d’âme, c’est-à-dire de l’émotion que nous sommes en train de ressentir attentivement, comme si nous parlions avec tendresse et douceur à notre enfant intérieur, pour l’assurer de notre indéfectible et inébranlable présence bienveillante, confiante et sécurisante.

En guise d’exemple, voici quelques phrases qui peuvent être utilisées telles quelles ou adaptées selon la sensibilité de chacun : « je suis là, avec toi », « je t’écoute attentivement », « tu as le droit d’exister en moi », « je partage ta colère, ton chagrin, ta peine », « laisse toi aller », « abandonne-toi »,« il fait bon être avec toi », « je t’aime inconditionnellement »,  « j’accueille ta nature », « pardon », « sens toi libre de vivre ta souffrance », etc. Cette bienveillance à l’égard du vivant est un véritable esprit de bénédiction[6].

D'un point de vue mystique et ésotérique, cet esprit de bénédiction nous aligne sur l'axe lumineux du Pur Esprit qui nous traverse verticalement en chaque instant. Cet alignement est l'opération de rectification alchimique, réalisée par l'identification au regard et à la voix du Divin en soi, que l'on peut également assimiler au Saint-Esprit de la tradition chrétienne et à la Buddhi de la tradition hindoue. Cette Intelligence du Coeur, ou Amour inconditionnel, ou Lumière divine, n'est donc pas seulement extérieure à soi, mais nous traverse également à chaque instant, et c'est à nous qu'il revient de faire l'effort de nous aligner sur elle. Ce repositionnement dans l’« invariable milieu » nous soumet de fait à la Volonté divine, qui est l'accueil inconditionnel du vivant. Il nous permet de réaliser notre apocalypse intérieure, c'est-à-dire la désidentification des voiles de l'ego dysfonctionnel qui empêchait la révélation du vivant, son dévoilement, sa mise à nu.

Un ego purifié des voiles de l'ignorance et des mauvais conditionnements est un esprit saint, un esprit pur, qui laisse passer la Lumière du Pur Esprit jusqu'au coeur du vivant.

Quand notre état d’âme se sent ainsi accueilli, aimé, par un ego purifié, la dimension psychique de notre être s’harmonise, se pacifie, s’équilibre, se régénère. Bien sûr, il est à peu près certain que durant ce processus d’accueil inconditionnel, une petite voix récalcitrante va faire son apparition et exprimer un refus et une indignation : « je n’ai pas envie d’accueillir », « c’est trop dur », « c’est à l’autre de faire cet effort, pas à moi », « c’est toujours moi qui dois lâcher prise », « je ne vais jamais y arriver », « je n’en suis pas capable », « je suis en train de m’enfoncer davantage », « je ne devrais pas souffrir ainsi », « vais-je m’en sortir ? », etc. Ceci est normal et fait partie du processus. Quand nous entendons cette petite voix - celle de l'ego dysfonctionnel - résonner dans notre tête, il faut faire bien attention de ne pas se sentir agacés ou coupables de son existence, car nous serions alors toujours sous l’emprise des impulsions de répulsion (rejet et refus), « tenus » par cela même dont nous voulons nous débarrasser, approfondissant alors la fracture en nous.

Lorsque cela nous arrive, le réflexe adéquat est de prendre conscience de cette petite voix, et de nous en désidentifier en ressentant les sensations qu’elle produit dans le corps, leur accordant à elles aussi notre « sourire intérieur ». Nous pouvons également verbaliser l’esprit de bénédiction avec des pensées inclusives, accueillantes, telles que : « je sais que c'est difficile », « tu as le droit de te rebeller, d’être fâché-e », « tu peux te sentir désespéré-e », « sache que je t'aime tel-le que tu es », etc.

L’idée est de faire comprendre à toutes ces parts de nous-mêmes qu’elles ont le droit d’exister et que nous comprenons leur raison d’être. Cela ne signifie pas que nous les laissons nous diriger, bien au contraire. Grâce à ce positionnement, nous pouvons à chaque fois nous maintenir dans le lâcher-prise en maîtrisant ces parts qui refusent la souffrance et qui, par le fait même de ce refus, l’alimentent. Une fois la réaction maîtrisée, le voile de refus est tranché et d’autres émotions peuvent remonter au conscient, suscitant à nouveau d’autres réactions de l’ego. Nous recommençons alors le processus de la présence et ainsi de suite, réalisant une puissante catharsis psychique.

La souffrance de l'âme remonte au conscient par vagues successives, et il n'y a pas à s'en inquiéter. Au contraire, cela est tout à fait positif dans la mesure où cette remontée nous donne l'opportunité de libérer cette souffrance, couche par couche. Nous demeurons simplement installés dans l’immobilité contemplatrice de la présence aimante, diffusant la chaleur et la lumière de notre amour inconditionnel sur le vivant et toutes les vibrations au travers desquelles il est susceptible de se manifester. Ainsi, le dualisme entre le bien et le mal est réunifié dans l’amour inconditionnel et cesse d’exister, tout comme le contrôle, la division et le conflit. En neutralisant ainsi les impulsions d’attraction et de répulsion, l’ego devient pur, équilibré, et cet équilibre peut alors se refléter dans l'âme et dans le corps, par l’écoulement libre des énergies émotionnelles.

Vivre la présence aimante dans ces conditions optimales est un choix qui ne dépend pas du contexte extérieur. Nous pouvons par conséquent faire ce choix à chaque instant.

3) La foi

Dans ce processus, la foi est une alliée très précieuse. Il ne s’agit pas nécessairement de croire en Dieu mais simplement d’avoir foi en le fait qu’il y a une intelligence, dans la nature, qui est au service de l’épanouissement de notre être et que cette intelligence a le pouvoir de nous aider à résoudre notre problème à parti du moment où nous acceptons de « baisser les armes » et de lui faire confiance.

Cette intelligence de la nature n’est autre que l’énergie vitale qui anime notre corps et qui assure notre protection physique et psychique. Comme nous l’avons vu dans l’introduction, la vocation de cette force d’amour est d’œuvrer, sans jamais relâcher ses efforts et sans rien attendre en retour, pour la conservation des conditions de santé parfaites nous permettant de donner le meilleur de nous-mêmes. Tout ce qui importe est de ne pas l’entraver dans son élan salvateur par notre identification à des réflexes conditionnés autant inutiles que nuisibles.

Au départ, cette foi a toute sa raison d’être car nous n’avons aucune certitude que l’énergie vitale va effectivement nous aider à atteindre cette issue positive. Mais beaucoup de personnes qui ont osé vivre cet abandon savent par expérience qu’en acceptant la réalité telle qu’elle est, non pas en se résignant avec fatalisme mais en l’accueillant avec bienveillance, une force insoupçonnée s’éveille du centre de l’être et active le changement, qui ne tardera pas à se manifester concrètement, visiblement, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi. Il est toujours très surprenant et émerveillant de voir notre réalité se transformer comme par magie, après avoir basculé dans la présence et s’en être remis avec foi, à cette intelligence de la vie qui dépasse tant de fois celle de la « raison raisonnante ».

Ainsi donc, la foi nous aide à effectuer ce lâcher-prise qui s’apparente à un saut dans le vide sans filet, et nous nous rendons bien vite compte que le vide n’est pas si effrayant et que la souffrance se transmute rapidement en paix, en lucidité, en confiance. Cette reconnaissance renforce notre foi et, à l’inverse, réduit l’emprise de la peur et des doutes. Dès lors, à l’avenir, lorsque nous devrons faire face à de nouvelles turbulences émotionnelles, il nous sera d’autant plus facile de les traverser.

4) La fréquence

Le but n’est pas de se placer dans la présence seulement lorsque notre univers semble s’effondrer, car si nous attendons d’être à ce point bouleversés pour faire cet effort de conversion intérieure, cela s’avèrera extrêmement difficile. Les résistances très fortes imprimées par nos conditionnements passés sur l’écran de notre conscience nous sembleront être des « gardiens du seuil » invincibles, et il y a de fortes chances que face au constat de notre impuissance, nous en venions à nous démoraliser, à nous juger et, par conséquent, à souffrir davantage encore.  

La présence bienveillante à notre réalité intérieure est un art de vivre qui doit se cultiver aussi souvent que possible. Durant nos journées, nous avons énormément d’occasions pour entraîner le processus, même quand tout semble aller pour le mieux à la surface de notre conscience. En faisant cela, nous nous donnons toutes les chances de nous maintenir dans un état de paix et de relâchement optimal, et ainsi d’avoir une bonne « marge intérieure » qui nous rendra d’autant moins réactifs au moment où des circonstances viendront raviver nos émotions enfouies dans notre subconscient.

Durant nos journées, un grand nombre de petites réactions émotionnelles inconscientes, qui ne nous dérangent pas outre mesure, peuvent « faire pression » sur notre système nerveux autonome, déclenchant les réactions physiologiques du stress. Si elles ne sont pas libérées par les gestes et les sons ou par la présence consciente au fur et à mesure qu’elles surviennent, ces petites émotions s’accumulent et nous font vivre un état de stress chronique. En plus de troubler notre physiologie, dont l’équilibre nécessite la libre circulation des énergies, rappelons-le, ce stress chronique réduit considérablement notre marge intérieure et nous devenons hypersensibles. Dans cet état-là, un stimulus anodin peut nous faire réagir d’une manière disproportionnée. Lorsqu’on dit que nous avons « les nerfs à vif », que nous sommes « à fleur de peau » ou « hors de nous-mêmes », ces expressions témoignent de ce déséquilibre. A partir de là, l’effort pour se placer dans ce juste positionnement qu’est la présence aimante, est d’autant plus ardu. C’est la raison pour laquelle nous avons tout à gagner à faire les efforts en amont également, lorsqu’ils sont beaucoup plus faciles à accomplir.

C’est la métaphore du vélo : lorsque nous pédalons, l’effort musculaire de chaque coup de pédale bénéficie de l’élan conféré par le coup de pédale précédent. Par contre, si nous nous arrêtons de pédaler, nous ralentissons naturellement notre vitesse et l’effort à faire pour retrouver notre rythme initial sera beaucoup plus important et éprouvant. Cela signifie qu’en entretenant la dynamique de l’effort sur soi-même, le plus fréquemment possible, chaque nouvel effort profite de l’énergie produite par ceux qui le précèdent, et nous conservons ainsi la dynamique qui nous permet de franchir plus aisément les obstacles émotionnels qui se présentent sur notre route.

Cela dit, cette métaphore a ses limites, car l’effort dont il est question ici n’est pas musculaire. Il ne s’agit pas d’une débauche d’énergie corporelle, mais d’un effort de vigilance et de concentration de l’esprit, uniquement. Loin de nous fatiguer, cet effort « spirituel[7] » nous régénère, en interrompant la dépense d’énergie contre-productive produite par l’identification anarchique aux schémas de pensée.

Aussi, gardons-nous bien de croire que la présence vécue aussi souvent que possible nous rend incapable de gérer notre vie. S’il est bien entendu utile d’avoir recours au mental pour réfléchir, planifier, analyser, organiser, comparer, etc., il y a une différence entre l’emprise totalitaire que le mental peut avoir sur nous, et son usage pleinement maîtrisé. Comme l’a écrit le maître de sagesse Eckhart Tolle dans son excellent ouvrage Le pouvoir du moment présent :

Votre mental est un outil, un instrument qui est là pour servir à l'accomplissement d'une tâche précise. Une fois cette tâche effectuée, vous déposez votre outil. Je dirais ceci : telles que sont les choses, environ quatre-vingt à quatre-vingt-dix pour cent de la pensée chez l'humain est non seulement répétitive et inutile, mais aussi en grande partie nuisible en raison de sa nature souvent négative et dysfonctionnelle. Il vous suffit d'observer votre mental pour constater à quel point cela est vrai. La pensée involontaire et compulsive occasionne une sérieuse perte d'énergie vitale. Elle est en fait une accoutumance. Et qu'est-ce qui caractérise une habitude ? Tout simplement le fait que vous sentiez ne plus avoir la liberté d'arrêter. Elle semble plus forte que vous. Elle vous procure également une fausse sensation de plaisir qui se transforme invariablement en souffrance. »

Lorsque nous consentons les efforts justes pour nous maintenir dans la présence aimante, en appliquant cumulativement les quatre clés de la présence à soi, notre mental devient beaucoup plus efficace. En effet, nous nous apercevons avec satisfaction que nos pensées sont plus claires, précises, inspirées, intuitives. Nous devenons plus lucides et cette clarté d’esprit améliore notre capacité à prendre de bonnes décisions. Élevés par la confiance, la force et la paix que nous confère l’énergie vitale restaurée, l’accomplissement des efforts physiques nous paraît également beaucoup plus facile. Tout devient beaucoup plus simple. Tout semble couler de source. Les extrême-orientaux appellent cet état de simplicité et de fluidité, dans lequel nous sommes portés par le mouvement même de la vie, « l’effort non forcé » ou « l’action non-agissante ».

 

Sur la notion de perfection

Ce processus de la présence méditative, tel que nous l'avons présenté au travers de ces quatre clés, est une pratique spirituelle à la fois simple et puissante. Toutefois, simplicité ne rime pas toujours avec facilité. En effet, si cela est simple puisqu’il « suffit » théoriquement de se placer dans le juste positionnement pour que la souffrance ainsi embrassée se transmute progressivement, couche par couche, en pratique, nous devons composer avec de très nombreuses résistances qui sont autant de forces d’opposition qui rendent ce grand lâcher-prise difficile. Ces obstacles font partie du chemin et il est tout à fait naturel de les rencontrer.

L’ego, qui est cette conscience de soi-même, a été formaté par des années d’expériences au cours desquelles nous avons perçu notre réalité au travers du prisme de l’opposition des contraires : le bien et le mal, la morale et l’immoralité, le vrai et le faux, l’absolu et le relatif, et sommes devenus dépendants des impulsions d’attachement et de rejet aux uns et aux autres de ces contraires. Dans le processus de la présence, nous apprenons à transcender ce dualisme des contraires en annulant leur opposition par l’accueil inconditionnel des sensations perçues dans notre corps. C’est la seule manière de purifier l’ego des réflexes conditionnés qui le dominent et le rendent dysfonctionnel, et par là, de réaliser l’ouverture et le relâchement dont le vivant (la vie en soi-même) a besoin pour se régénérer, s’épanouir, guérir.

La perfection se situe dans ce positionnement intérieur qu’est la présence, quelle que soit la nature vibratoire qui se manifeste au cœur du vivant. Si cette manifestation est la souffrance, l’état de perfection est atteint par l’accueil inconditionnel de cette souffrance. Cela vaut pour tous les états d’âme sans distinction aucune (joie, confiance, tristesse, dépression, colère, culpabilité, etc.). Si nous commettons l’erreur de croire que la perfection se traduit uniquement par les états de joie, de paix, d’amour ou de quelques autres facultés physiques ou psychiques, nous risquons d’approfondir la fracture en nous, en rejetant et refusant tout ce qui semble s’éloigner de ces états. Nous nous surprendrions à penser : « oh non, je pratique la méditation et pourtant je souffre encore, et même plus qu’avant. Je voudrais tellement pouvoir vivre dans la joie, être constamment en paix, être parfait-e,... ».

Il est compréhensible de vouloir méditer pour aller mieux, pour guérir ou pour trouver des solutions à nos différents problèmes. En général, c’est précisément parce que nous n’allons pas bien que nous nous intéressons à la méditation. Mais cette démarche étant basée sur la volonté de se débarrasser de ce que nous n’aimons pas, la division s’amplifie dans notre psyché. Nos parts d’ombre se sentant rejetées, elles ne peuvent se transmuter et nous nous condamnons ainsi à en revivre les soubresauts, encore et encore. Comme le disait le célèbre psychanalyste Carl G. Jung :

Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité, mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire ».

Il est certes séduisant de faire des efforts pour se construire une personnalité dépourvue de défauts et de faiblesses, mais si cette démarche est motivée par la volonté d’occulter tous les aspects de soi-même jugés dégradants et dévalorisants, la psyché demeure divisée et donc instable[8]. La recherche de la perfection doit donc s’appuyer sur l’idéal de réunification intérieure de tous les aspects de la personnalité. Dans cette dynamique de la réintégration consciente de notre totalité, de notre entièreté, nous sommes parfaits, quand bien même les attributs de notre personnalité ne s’accorderaient-ils pas avec la perfection établie par le consensus social.

Si nous parvenons à poser un regard bienveillant sur notre humanité, dans ce qu’elle a d’imparfait, de vulnérable, de honteux, de dégradant (du moins ce qui est jugé comme tel), c’est là que nous lâchons et que nous permettons aux véritables forces de la nature de se déployer pour rétablir l’équilibre à partir duquel les qualités et vertus de l’âme vivante pourront se manifester. En d’autres termes, l’esprit purifié par la pratique de la méditation, cesse de nuire à l’énergie vitale de l’âme, qui peut dès lors s’élever et s’épanouir dans l’expression libre et joyeuse de sa véritable nature. C’est ainsi que nous devenons « lumineux », non pas au sens de briller, mais au sens d’éclairer par le rayonnement des qualités et vertus de l’âme vivante.

Précisons encore que l’effort qui consiste à se placer dans la présence aussi souvent que possible, ne dispense aucunement d’agir en aval. Par exemple, si nous souffrons d’une grave maladie, la voie du juste milieu est d’accueillir la souffrance psychologique vécue en réaction à cette maladie, et de travailler à la mise en lumière de ses éventuelles causes psychologiques[9]. En faisant cela, nous retrouvons davantage d’équilibre et de paix, et pouvons dès lors agir concrètement avec davantage de fluidité et de stabilité. Nous sommes ainsi mieux à même de prendre les mesures nécessaires pour aider les forces de guérison du corps dans leur action curative. La méditation ne nous rend donc pas passifs, bien au contraire. Si, dans un premier temps, le retour vers soi que la méditation implique nous rend « activement passifs » dans l’accueil de notre réalité intérieure, c’est pour mieux restaurer notre élan de vie, cette force agissante dont nous avons besoin pour rétablir l’équilibre dans notre vie et nous y épanouir.

aucoeurduvivant but cheminLao Tseu, un grand maître chinois, enseigna que « le but n'est pas seulement le but mais le chemin qui y conduit ». L’une des interprétations possibles de cette parole de sagesse, est la suivante : si nous voulons atteindre la perfection dans le but (ou le résultat), il faut que cette perfection se reflète dans chaque pensée, acte ou geste qui nous rapproche de ce but. Cela signifie que si nous espérons une issue harmonieuse à un problème, l’harmonie doit se manifester dans toutes les étapes qui mènent à sa résolution. Cette perfection dans l’instant présent, prend racine dans ce positionnement intérieur équilibré qu’est la présence aimante. Si nous déployons les efforts pour nous y établir dans chaque action que nous sommes en train d’accomplir, notre dynamique nous rend parfaits, alors même que le résultat que nous attendons est peut-être encore bien loin d’être atteint. De ce fait, l’accomplissement même de ce résultat devient tout relatif, car sur le chemin qui y mène nous pouvons d’ores et déjà vivre la paix, la joie, et l’amour. Ces états n’étant plus conditionnés par l’obtention future d’un résultat « positif », nous en sommes plus facilement détachés, et cela nous préserve de la peur et de toutes les névroses d’échec qui, autrement, ne manqueraient pas de survenir en réaction à l’éventualité de ne pas atteindre ce résultat parfait, dont nous aurions impérativement besoin pour éprouver un bonheur superficiel dépendant de l’inhibition de notre souffrance. Attachés à ce résultat positif tout comme aux personnes et aux objets qui nous donneraient l’assurance de pouvoir l’obtenir, puis de le conserver, nous nous condamnerions à revivre la souffrance, car tout ce à quoi nous sommes attachés finit tôt ou tard par disparaître, conformément au principe de l’impermanence inhérent au monde de la forme.

 

En conclusion

Dans la tradition orientale, le mot utilisé pour parler de la méditation, est bhâvanâ. Ce mot sanskrit signifie littéralement « développement » ou « culture », ce qui exprime parfaitement le sens de la méditation en tant que cette présence bienveillante et inconditionnellement aimante accordée au vivant. En effet, la méditation telle que nous la concevons, est l’art de se placer dans ce positionnement de l’esprit qui fait office de tuteur le long duquel le fabuleux potentiel vital de l’âme va pouvoir se développer, s’élever et s’épanouir, pour être à même d’offrir sa beauté et ses plus beaux fruits : les qualités et vertus que sont la charité, la compassion, le partage, la joie, la paix, la fraternité, la bienveillance, le pardon, la créativité, l’intuition, la santé, etc.

C’est l’image de la graine qui contient ce fabuleux potentiel de pousse et qui doit être cultivée de manière adéquate pour pouvoir exprimer sa nature. Cette culture est simple : la plante pousse toute seule si on évite de lui nuire et que l’on veille à ce qu’elle bénéficie des conditions de vie idéales.

Cet art de la méditation qui consiste à s’établir dans la présence bienveillante, aimante, est une manière à la fois simple et puissante de purifier la nature humaine et de lui offrir ainsi toutes les chances de dévoiler les trésors qu’elle porte en elle. Gageons que si de plus en plus d’êtres humains, petits et grands, se donnent les moyens de cultiver cette présence aussi souvent que possible, de beaux changements pourraient survenir rapidement. En créant ici et maintenant de la paix, de l’harmonie et de la joie, le futur ne peut être qu’à l’image de ce merveilleux présent.

L'homme mérite qu'il se soucie de lui-même car il porte dans son âme les germes de son devenir. »
Carl G. Jung

 

Cet article provient d’un chapitre du livre « Un Voyage en Méditation ». Il a été remanié et complété pour s'accorder à l’orientation ainsi qu'à la sensibilité mystique et ésotérique de ce site internet.

 

 


[1] Cette métaphore est une image symbolique traditionnelle utilisée également pour figurer le rapport consubstantiel entre le Pur Esprit (le Soi, ou Atman en sanskrit) et l’âme vivante (le Moi, Jivatman en sanskrit, c’est-à-dire notre individualité). En tant qu’individus, nous sommes comme le reflet du Soleil sur un plan d’eau, et notre Source, notre véritable Soi, est comme le soleil dans le ciel. Ce Soleil spirituel est la Source unique d’innombrables reflets de Lui-même (Dieu créa l’homme à son image) dans le miroir de la Création. Le Soi est UN, sans second, mais les « véhicules » qu’Il utilise pour rayonner son essence et communiquer son Bien suprême (symboliquement, les rayons de Sa lumière), sont multiples. La nature du travail spirituel consiste à purifier ce « véhicule », l’âme vivante, pour qu’elle puisse refléter à la perfection la Lumière du Soi, et ainsi faire la Volonté divine en offrant le « fruit de l’Esprit » : charité, compassion, bénignité, pardon, tolérance, etc.

[2] Précisons que ces polarités n’ont strictement rien à voir avec le manichéisme du bien et du mal.

[3] Ce mouvement est figuré dans le symbole taoïste bien connu du yin-yang, également appelé taijitu.

[4] Le mot « émotion », vient du latin ex-movere, ce qui signifie littéralement « mouvement vers l’extérieur ». Ce mouvement est fourni par la libération de l’énergie produite par les hormones de stress, notamment l’adrénaline.

[5] Le surmoi est une notion psychanalytique élaborée par Freud, qui désigne la structure morale inhérente à la personnalité.

[6] Ce rapport bienveillant à soi se rapproche beaucoup de la magnifique tradition hawaïenne appelée ho’oponopono, qui signifie « remettre les choses en ordre ». Rétablir l’ordre là où il y a un chaos... émotionnel. Cette rectification alchimique est précisément le but de la présence à soi. Voir notre article « La rectification, ou l’alignement sur la Volonté divine ».

[7] Du latin spiritualis, « relatif à l’esprit ».

[8] C’est l’image du colosse aux pieds d’argile.

[9] Comme nous l’avons déjà relevé, la grande majorité des maladies pourraient être d’origine psychosomatique, ce qui signifie qu’elles sont causées par des émotions bloquées et par de fausses croyances au sujet de soi.

 

Vidéos en lien avec cet article

 

Questions-Réponses

Cette liste de questions-réponses a été réalisée à partir d'échanges privés et publics. L'anonymat des interlocuteurs est préservé.

1) Vous parlez de la nécessité d’accueillir avec bienveillance nos élans de vie. Sachant qu’il y a en l’être humain une nature hostile au Divin, destructrice, maléfique, cet accueil inconditionnel ne pourrait-il pas s'avérer dangereux ?

2) Donc il suffirait d'accueillir sa part d'ombre et la laisser circuler pour que cela équilibre notre part plus vertueuse... Cela est, pour moi, une vision naïve que de croire qu'accueillir nos ombres c'est finalement s'en libérer. En revanche en avoir une pleine conscience, les connaître, les apprivoiser pour qu'elles occupent le moins de place en nous, me semble un bon compromis avec nous même, non ?

3) Le problème, c’est que si j'accepte de voir ces ombres et qu’elles ont le droit d’exister, j’ai peur que je devienne « elles » et qu’elles me fassent faire du mal.

4) Quand est-ce que nos ombres intérieures finiront par cesser de venir nous hanter ?

 

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Citation inspirante

C'est en faisant le bien que l'on détruit le mal, et non en luttant contre lui. C'est en cultivant l'amour que l'on détruit la haine, et non en l'affrontant. C'est en faisant croître la lumière que l'on triomphe de l'obscurité, et non en lui livrant combat.

Charif Barzouk,

philosophe berbère de tradition orale,

de la première moitié du 20e siècle.